Jean-Luc Tanghe Gabriella Koutchoumova
105 JOURS
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Relecture : Anne Jaspard
Chaque jour, pendant 105 JOURS, nous publions une photographie de Bruxelles réalisée par Jean-Luc Tanghe et un texte écrit par Gabriella Koutchoumova

Gabriella Koutchoumova
Parc des Sources
62/105 31 mai 2020
Plonger dans la verdure du parc des Sources
Onguent de nos âmes malmenées
Bruxelles tu regorges d’espaces refuges
Remède à nos douleurs
Ces allées bordées de saules blancs : Salix Alba
Gabriella Koutchoumova

Cimetière d'Ixelles
61/105 30 mai 2020
Le jour où tu es parti ailleurs tu as emporté une partie de moi avec toi.
Je pleure ton départ monumental
mais aussi celle que j’étais et que d’un coup, je ne suis plus.
L’absence, le silence, le départ sans retour…
Dans la décomposition et le désinvestissement,
nait une autre facette inédite de la vie.
Lentement je suis recomposée autrement,
et le désir de vie, qui était en notre lien, rompu subitement,
me donnera de quoi aller bien plus loin.
C’est quand je m’abandonne que je me recrée et te fais honneur.
Gabriella Koutchoumova

Rue de l’Hôtel des Monnaies
60/105 29 mai 2020
En famille nous avons joué souvent au Grand Départ.
C’était peut-être un grand jeu, en fait…
« On va jouer au Grand Jeu ! » disait mon père.
Nous étions beaucoup de cousines et cousins suspendus aux lèvres de mon père et son Grand Jeu dont il ne nous donna jamais les règles.
Peut-être pour que nous les inventions nous-même ?
Peut-être que le Grand Jeu c’était la vie dont il ne connaissait pas les règles…
Peut-être le Grand Jeu était la ruse pour fuir, quitter et se sauver ?
Peut-être sommes-nous encore à présent dans le Grand Jeu à inventer ?
Pourtant, les règles semblent obsolètes et curieusement ridicules !
Et si on jouait au Grand Jeu de repartir à 0
Mais zéro n’existe pas
Alors repartons du chiffre 1
Le mouvement premier
Le tout premier pas.
Gabriella Koutchoumova

Rue du Nom du Jesus
59/105 28 mai 2020
Cela fait 3 jours que j’écris au passé
Comme si j’étais en deuil d’une partie de moi-même.
La partie imprimée
Les traces indélébiles laissées par toi ou toi ou toi
Tout cela qui fait que je suis un moi aujourd’hui.
Besoin de revisiter peut-être de qui suis-je tracée ?
Qui a traversé mon être hier
Laissé une marque, une intention, une présence, une atmosphère
Desquelles j’émane en partie.
Y a t’il un vrai choix ?
Qui suis-je dans ce fugitif présent ?
Gabriella Koutchoumova

Rue de la Perche
58/105 27 mai 2020
Te souviens-tu de la chaleur moite du hall d’entrée de la piscine de la Perche ?
Nos moments de pause-parents où la vérité s’échange en peu de temps.
La joie de voir nos petits apprendre à nager pour pouvoir les emmener au large
de l’océan, surfer sur les vagues atlantiques.
Tu es ma complice, ma cop’ de cœur
celle avec qui être une enfant espiègle est toujours OK.
Nos énergies surfent et parfois luttent mais nous nous retrouvons presque toujours dans cet espace complice, d’interdits inventés, de secrets
qui font d’ailleurs rire nos enfants encore maintenant.
J’espère que toujours je me cacherai sous la table avec toi,
pour déguster secrètement, nos cafés glacés ou nos panachés.
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Moments qui me construisent et me donne l’élan d’avancer sérieusement.
Gabriella Koutchoumova

Rue Vanderhaegen
57/105 26 mai 2020
Sortie d’école forcée !
Jamais je n’oublierai ta main dans la mienne,
nous élançant vers le tram 81
pour ne rater aucune note
des concerts de l’après midi
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Ces jours où je te retire de l’école
pour t’apprendre que les règles c’est bien
mais il faut pouvoir aussi les transgresser
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Jamais je n’oublierai l’excitation au ventre quand on s’habillait derrière un arbre pour se faire belles
pour dire combien on honorait ce moment suspendu,
qui aurait failli nous échapper
si nous n’avions pas scrupuleusement désobéi.
Gabriella Koutchoumova

Place Eugène Flagey
56/105 25 mai 2020
Direction Montgomery
Arrêt place Flagey
Je descends
Souvent avec la sensation de papillons au ventre
Ah l'auvent du tram 81
Je le connais, je le connais
Je sais exactement où les jours de pluie
Tu reçois pour le prix de ton aller
La douche en prime
Il pisse de partout en cascade
Et trempée, j’arpente la place
Mon désir tendu vers cet instant de silence
Moment de bonheur que de s’assoir alors
Même trempée du auvent du tram 81
Dans un fauteuil d’une teinte feutrée
Dans une salle à l’acoustique parfaite
Juste avant que ne débute la première note
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A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit
Souvent des moments volés à autre chose qui donnent à celui-ci
Toute sa force et sa puissance.
Gabriella Koutchoumova

Rue Royale
55/105 24 mai 2020
Contrer la peur de se revoir
Réapprivoiser le désir
De se prendre dans les bras longtemps
De sentir fluides et énergies se retrouver
La joie inonder nos yeux
Gonfler nos cœurs
La chaleur réinvestir nos corps.
Gabriella Koutchoumova

Métro Lemonnier
54/105 23 mai 2020
Lire entre les lignes.
Croiser l’information.
C’est la perception fine de l’aveugle sur un quai.
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Il ressent, entend, perçoit, interprète avec finesse
dans l’ombre perpétuelle,
ce que nous, voyant, même dans la lumière,
sommes souvent incapables de saisir.
Gabriella Koutchoumova

Rue du Luxembourg
53/105 22 mai 2020
Fille de l’Europe, je regarde stupéfaite cette descendante de l’Empire britannique sortir de l’Eurostar !
Viendrait-elle fraîchement libre reconquérir ses ex-partenaires commerciaux ?
N’est-ce pas elle qui vota le 23 juin 2016 for a hard Brexit mettant en cause l’inaction de la Commission européenne ?
Et nous européen.ne.s sommes-nous satisfait.e.s de la communication de l’UE au sein de notre Europe ?
Pro-Europe évidemment mais dans une Europe sociale, artistique, écologique, instruite, multilingue, intergénérationnelle et révolutionnaire !
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Gabriella Koutchoumova

Rue du Vieux Marché aux Grains
52/105 21 mai 2020
Avide… olalaaaa ce mot Jean-Luc !
Il est empressé et plein de creux
Vide dedans
Dans le manque et la convoitise.
Trou béant, il est âpre, anxiogène, presque haletant
Et certainement impatient.
Il est intéressé tel un rapace par sa proie.
Mercenaire passionné, dévorant, insatiable
Donc constamment insatisfait.
Gabriella Koutchoumova

Grand-Place
51/105 20 mai 2020
Les yeux mi-clos dans les œuvres d’art me rappellent la dernière fois
Le moment le plus intime de la séparation
L’œil rêveur bien au-delà de moi
Et lui inerte ayant effectué son dernier inspir
Moi transie de froid devant lui
Mon souffle se coupe quand je suis sûre de l’avoir vu encore respirer
Les yeux inondés par la peur
Incapable de suivre son regard
Un regard du dedans vers l’ailleurs.
Gabriella Koutchoumova

50/105 19 mai 2020
La rondeur me donne envie d’y passer la main nue
Et le contact transpirant
Crée une fluidité interdite
Entre ma main et ta peau.
Gabriella Koutchoumova

Les Passions humaines
49/105 18 mai 2020
La force de la douleur
Contracte
La musculature vrille, s’allonge, soutient, se rétrécit
Toujours dans l’axe de son partenaire nécessaire
Incontournable
Qui lui sans exception se décline en torsions
Légères souvent et plus prononcées parfois
Se concave et se convexe
Résiste
Parfois casse et se reconstruit.
La langue elle, trop souvent cloîtrée, encaisse, rigide
La force de la mâchoire et du talon
Donne le ton, la charge,
« El compas del cuerpo »
La douleur concentre, tord, s’installe, s’inscrit
La joie inonde, souvent volatile
Elle crée une forme fluide de résistance et d’apaisement
Des ondes libératoires
Qui des tripes libèrent vers le cou,
Ce passage qui relie l’être à la pensée.
Gabriella Koutchoumova

48/105 17 mai 2020
L’axe de la semelle
révèle le son de la démarche
qui crée l’ambiance du corps
à transporter chaque jour.
Gabriella Koutchoumova

Quai des Péniches
47/105 16 mai 2020
Si tous les habitants se mettent à danser à 20h
Sur la gauche de l’immeuble
Crois-tu qu’ils arriveront à pencher comme à Pise
Où l’œuvre du triomphe de la mort du Camposanto
Monumentale est abritée ?
Gabriella Koutchoumova

Chaussée de Forest
46/105 15 mai 2020
Nos nuits n’ont plus besoin d’étoiles pour briller !
Ce n’est pas moi dont les rideaux doubles couches occultant
cachent la lumière réverbère,
ce n’est pas moi qui aurais pu écrire cela.
C’est toi ma sœur, mon frère des rues qui cherche le sommeil sur le banc, sur la pelouse, et qu’on empêche de dormir pour que tu ne restes pas là.
On te voit t’endormir sous nos yeux car la lumière du jour est mille fois plus douce que le LED bruyant.
Les étoiles ne nous dérangent pas, nous les bobos des villes,
mais toi tu confrontes ma tranquillité et mon sommeil.
Gabriella Koutchoumova

45/105 14 mai 2020
Il a fallu peindre les nuages car le ciel est en coton.
Le masque ne nous aurait justement pas choqué sur toi,
chevalier à l’épée.
Ils nous choquent sur nos bouches, nous empêchant
de nous embrasser.
Treurenberg
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Gabriella Koutchoumova

44/105 13 mai 2020
Et le vieux !
Dégage tes doigts nus des surfaces publiques !
Tu risques le vieux
Lache la main !
Coup de frein ?!
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Laisse toi glisser sans retenue
Tel de l’ouate ou des plumes
Lache la main
Vire à gauche
Lache la main
Telle une caracole
Vrille, descends, au ralenti
Lache la main et reviens
au plus vite à ton vrai toit ....
Gabriella Koutchoumova

Place de Louvain
43/105 12 mai 2020
Et bien voici une initiative intéressante pour ceux que cela concerne tous genres confondus.
Une poubelle trou noir pour vomir les propos misogynes
et ne plus salir ses propres pieds.
Il fallait bien que ça se fasse pour les plus récalcitrants.
La fin des saloperies, c’est aujourd’hui.
Comme une poubelle normale, tu ouvres,
tu lâches ta merde et tu nous lâches la grappe.
Gabriella Koutchoumova

Rue des Harengs
42/105 11 mai 2020
Un état changeant de point en point
Les pieds sur le sol
Tentant de percevoir le monde
La fin interminable
La fin nécessaire
Le démantèlement de l’absurde
Pour se donner enfin de nouvelles permissions
Délaisser avec tendresse ce qui fût
Et marcher pieds nus
Tranquillement, respirant,
Et commencer à ressentir la vie
À partir du dedans.
Gabriella Koutchoumova

Bus29
41/105 10 mai 2020
Dans l’allure des choses
D’accélération en coup de frein
D’arrêt en ronronnement lancinant
Je me sens droite comme un phare
Pour recevoir tes vagues
d’une intensité non comparable.
Je me pose sur la terre
Me fortifie
Défocalise de la douleur
Pour ouvrir la porte vers le nouvel ailleurs.
Gabriella Koutchoumova

Boulevard Barthélémy
40/105 9 mai 2020
Le couteau se dégaine dans chaque cuisine
face à l’oignon
ou face à l’autre.
La violence cachée,
transpire sur le mur.
Le voisin interdit par l’horreur
Ouvre la bouche.
Le silence l’emporte
dans l’enfilade des rues
déclinée en fractales
qu’arpente encore l’assassin.
Gabriella Koutchoumova

Rue de la Colline
39/105 8 mai 2020
Petite, il fallait lire Tintin.
Et moi ça me rendait maussade.
Des histoires sans femmes.
Ça me rendait maussade.
Car la Castafiore n’est pas une femme pour les femmes.
Aucune proposition dans lesquelles je puisse
me projeter en aventurière !
Le genre de proposition sexiste et asexuée, il fallait le faire !
Et le reflet d’une époque, encore, pleinement raciste !
Suivante Jean-Luc s’il te plaît...
Gabriella Koutchoumova

38/105 7 mai 2020
1919, la majorité des pays donne le droit de vote aux femmes.
La Belgique, elle, terre de compromis, leurs donne
l’élection communale, seulement !
Serons-nous capables de passer d’une terre de compromis à une terre d’engagement ?
Serons-nous capables de rêver en trois langues et d’agir
sans qu’aucune des trois ne ralentisse le processus créatif
et innovant de changement ?
Serons-nous capables d’accélérer la remise à niveau des inégalités, ardemment et une fois pour toutes, bordel !
Place Poelaert
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Gabriella Koutchoumova

37/105 6 mai 2020
Nowhere else I would like to be
I am dancing behind the door
Completely deaf to the bip bip sound
I can’t wait
Stillness might drive me to death
But I can’t dance if I can’t be still
So I tame the idea
The experience of a breathing moment
I stay still
And still alive until
the door…
to be pushed by you.
Gabriella Koutchoumova

36/105 5 mai 2020
Les pisseuses couleurs du métro bruxellois détournent
mon attention du sujet.
L’œil en surcharge face à l’écran, qui lui, nous handicape les mains, musclant nos pouces et délaissant les huit autres doigts.
Quelle pauvreté !
Plus que jamais connectée et injoignable.
Plus que jamais isolée et disponible au burn out à tous vents.
La 5G tu dégages, on en veut pas
de tes ondes à cancer pour rebooster notre économie
et faire tourner nos hôpitaux.
Non merci !
Ils ont suffisamment sur les bras, alors la 5 G tu dégages.
On s’en portera tous beaucoup mieux et vivants.
Gabriella Koutchoumova

Cathédrale Saint-Michel et Gudule
35/105 4 mai 2020
Prendre de la hauteur, comme l’aigle de Patmos
Porté par les courants chauds
L’œil scrute et concentre l’environnement
Avant d’y plonger vertigineusement
Gabriella Koutchoumova

Bus 66
34/105 3 mai 2020
De la pointe au talon
D’une infinie puissance
Je suis re-transportée à Madrid
C’est l’envol du nid
Vers la métropole d’Almodovar
En pleine movida madrileña
De la ville au ciel
Retentit le rythme du talon
Du flamenco, de la pulsation de vie
Animal, extrême où les sens en éveil constant
Exacerbés en permanence hurlent de joie ou de colère
On ne sait plus très bien
Du moment que ça pulse le contretemps et le compas !
Gabriella Koutchoumova

Avenue Raymond Vanderbruggen
33/105 2 mai 2020
C’est l’œil qui l’emporte sur la main.
Il passe avide, en une puissance concentrée
sur le contraste des matières,
contraignant mon esprit à la reconstruction immédiate
de différents souvenirs sensoriels.
Pour me donner traduction, animant le désir de passer la main sur les herbes, mon toucher à présent, est incarcéré en
un abîme suspendu,
alors qu’il n’y a pas de monde sans toucher.
Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Boulevard de la Woluwe
32/105 1 mai 2020
L’oeil en activité silencieuse
capte et transmet à notre être, à notre animal
tel un compas
d’une part centré
de l’autre s’exécutant dans l’infinitude du cercle
d’embrasser en un même instant
l’espace, l’environnement et les êtres.
Gabriella Koutchoumova
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