Jean-Luc Tanghe Gabriella Koutchoumova
105 JOURS
​
Relecture : Anne Jaspard
Chaque jour, pendant 105 JOURS, nous publions une photographie de Bruxelles réalisée par Jean-Luc Tanghe et un texte écrit par Gabriella Koutchoumova

Métro Mongomery
92/105 30 juin 2020
Onduler comme le serpent
Parfois de côté parfois à plat ventre
Ecouter
Sonder la moindre vibration
Qui fera suspendre le souffle
Pour disparaitre, presque, le temps
De la perturbation.
Faire avec les orages, les tempêtes et les ouragans
C’est sans doute les restes de vies reptiliennes
Qui remontent, qui submergent
Et donnent cet attachement à la terre
Si profond
Si ancré
Qui libère finalement
Comme un ressort
Chaque jour
Autrement.
Gabriella Koutchoumova

91/105 29 juin 2020
Parfois la paresse
ne révèle-t-elle pas
une nature passive mais rebelle,
à ne pas exécuter
l’injonction de nous soumettre.
La paresse, nous sauverait-elle
de ce qui nous parait inacceptable ?
Gabriella Koutchoumova

Allée de Provence
90/105 28 juin 2020
De terrain vague en potager
la terre transformée
donne à celle qui la retourne
la sensation d’en faire partie
et l’illusion d’en maitriser l’usage
à sa convenance,
tantôt gourmande ou curative,
en tous les cas trouver les moyens
de faire converger les besoins respectifs.
Gabriella Koutchoumova

89/105 27 juin 2020
La lignée de femmes.
Des liens tissés à points serrés
comme de la broderie
de façon tellement étroite
qu’il n’y a pas moyen de s’en écarter,
de faire autrement.
​
Indéfaisable,
incontournable,
ni ondulation
ni torsion.
Rigide,
façon corset.
​
Deviens poisson,
ondoie
et dérobe-toi.
Retire-toi comme la vague.
Si tu le désires,
ose le renversé,
du lien tu seras déliée.
Gabriella Koutchoumova

Tunnel Cinquantenaire
88/105 26 juin 2020
Ne jamais oublier !
Se rappeler, se souvenir
et surtout avancer.
​
Moderniser la ville de sculptures contemporaines
qui soient le reflet de notre époque,
de nos valeurs et de nos désirs humains.
​
Aiguiser notre regard et proposer autre chose.
Une réorganisation de nos œuvres qui
nous donnent espoir, dynamisme et nous fasse honneur.
​
Faire de la place à la dignité et à la reconnaissance
des femmes et des hommes vivant.e.s,
pour pouvoir sentir que notre engagement n’est pas vain.
J’aimerais voir les traces du monde dans lequel je m’inscris aujourd’hui.
Gabriella Koutchoumova

Rue Gray
87/105 25 juin 2020
Dans le monde d’après l’effondrement,
existe-t-il un seul endroit épargné ?
Elle et nous avons besoin de temps,
de temps de jachère,
d’intégrer un autre rythme.
​
Plus de pépites
Plus de grâce
Plus de douceur
​
Le sentier intérieur est sinueux pour se poser,
s’asseoir par terre,
les paumes sur le sol.
Qui recharge qui ?
La perception d’une douceur interne
se sonde
se cultive
s’étale
comme un onguent
sur nos âmes amorties.
Gabriella Koutchoumova

Rue Antoine Dansaert
86/105 24 juin 2020
Te rappelles-tu le jeu « Qui est-ce ? »
Bien se tenir
Faire honneur en s’effaçant
Se tenir convenablement
Manger délicatement
En ne parlant pas la bouche pleine
Et ne parlant pas trop fort...
De peur qu’on les entende !
Qui est-ce ?
Tandis que les autres hurlent
Et on trouve cela très drôle !
La perspective de la conquête !
L’affranchissement des frontières
Tout est possible !
Petit, on encourage l’exploration du terrain vague !
Qui est-ce ?
Gabriella Koutchoumova

Avenue de la Couronne - Rue Gray
85/105 23 juin 2020
Le jour où je t’ai vu partir avec ton sac à dos, j’avais 8 ans.
Il venait de te mettre dehors.
J’étais tétanisée.
Je comptais sur mes petits doigts combien de temps
il me restait avant de me faire jeter à mon tour.
Et juste avant d’atteindre le même âge,
je pris ma valise pour aller explorer le monde.
Je vécu à Madrid et jamais il ne vint
car j’avais choisi le pays des conquistadors!
Gabriella Koutchoumova

Avenue du Mont Kemmel
84/105 22 juin 2020
Le cercle
Perception infinie du cocon
Du corps maison
Une légère perturbation
Lui donne vie
Crée l’ondulation
Influençant sa circulation.
Gabriella Koutchoumova

Place des Bienfaiteurs
83/105 21 juin 2020
Mon frère quand j’étais petite, je le trouvais grand, solaire et plein d’audace.
Il escaladait la gouttière à 6h du matin et me demandait de lui ouvrir la fenêtre
pour qu’il puisse rentrer dans la maison silencieuse, sans faire de bruit.
Puis il me nommait la Jeanne d’Arc de la nuit.
Je partais alors en exploration dans le couloir tout noir pour aller tirer la chasse des toilettes et lui permettre d’atteindre sa chambre à l’étage supérieur, à pas feutrés,
pour ne pas alerter les parents.
Puis, Jeanne d’Arc de la nuit ayant accompli son exploit, retourne se coucher et attend transie de sa reconnaissance, le lever imminent des jours d’école.
Je sais pertinemment bien que le second shot d’adrénaline m’attend, quand en retard, je suis soulevée de terre par chaque bras et nous dévalons la rue en pente à 3,
mon frère, ma sœur et moi, à la vitesse de l’éclair, pour faire atterrir mes petits pieds sur la première marche du bus 9.
Gabriella Koutchoumova

Avenue Louise
82/105 20 juin 2020
Ta colère d’aujourd’hui, tout à coup, prend un tout autre sens
et le monde une tournure inédite.
Je ne nous savais pas du même camp,
toi qui fût mon complice et partenaire.
De te reconnaitre emprisonné par les autres
dans cette même condition de dominé,
me laisse apercevoir le passé comme interprété de façon erronée.
Gabriella Koutchoumova

Forest
81/105 19 juin 2020
Les panneaux sur mon visage
se superposent
et je me recompose.
Se superposent
les couches utiles
pour protéger mon désarroi
face à la colère du monde
sur tes épaules.
​
Elle gronde.
Elle explose.
Elle s’expulse
en mille postillons contagieux.
​
Je me détourne car
ton impuissance me renverse,
me désarçonne,
m’amertume.
​
Mon estomac se révoltade
par la complexité de l’injustice
dont nous sommes tantôt les bourreaux
tantôt les sauveurs
mais toujours
toutes et tous
les victimes.
Gabriella Koutchoumova

80/105 18 juin 2020
J’ai 9 ans de moins que mon frère
et petite j’avais un grand désir…
Hériter de son train électrique, ou mieux encore
qu’on m’en achète un aussi, pour que la maison se transforme en circuit géant
et que se rencontrent, se rejoignent nos lignes de voies ferrées.
Échanger avec lui sur nos taquets dérailleurs, nos points de bifurcations et nos croisements d’itinéraires.
Faire des trous dans les murs pour que puissent traverser nos trains.
Je rêve d’être la tsarine du point d’aiguillage et d’aider les trains à s’orienter
parfois de façon mécanique et passive.
On mettrait le disque de Moussorgsky pour les démarrages en gare…
comme le vrai départ que nous fîmes de Saint-Pétersbourg vers Moscou
bien plus tard, accompagnés d’un orchestre d’instruments à vent
en pleine Perestroïka !
Image gravée à jamais de deux époques antinomiques
qui se chevauchaient devant nos pieds.
Gabriella Koutchoumova

Rue de Ligne
79/105 17 juin 2020
L’ignorance reste depuis tous les temps
l’arme fatale par excellence
pour briser tous liens
et assécher tout espoir
de se reconnaitre ou se revoir
comme si tout ce qui avait été vécu et ressenti
n’existe plus.​
Réalité divergente
Illusion
Fraction.
Gabriella Koutchoumova

Rue du Pays de Liège
78/105 16 juin 2020
Bruxelles, quels avantages cachés
enfouis-tu pour garder autant de personnes
dans des bidonvilles.
Il ne te faudrait que peu d’argent pour transformer ces terrains vagues en lieu décent.
Car entre les nouvelles tiny de bobo et ces tiny de fortune,
il y a le même nombre de m2 !
Alors si tu allonges, le peu de moyens dont ces personnes
ont besoin pour vivre décemment,
je m’allongerai sur tes pavés en guise de reconnaissance.
Gabriella Koutchoumova

Rue de la Loi
77/105 15 juin 2020
Etat de veille...
Sur qui veilles-tu ?
Surveillés H24,
les hommes ont peur d’eux-mêmes.
Comme un serpent
ils finissent par se mordre la queue,
se prennent à leur propre jeu.
Un jeu minable, grotesque.
Une prise de pouvoir sur l’autre
parce qu’ils viennent de découvrir qu’ils ont perdu le leur.
Celui de l’illusion d’être au-dessus de la pyramide du vivant.
L’homme n’est qu’un touriste paumé, inquiet
qui n’a qu’un besoin
pleurer
pour redonner vie à notre terre asséchée.
Gabriella Koutchoumova

Porte de Hal
​
76/105 14 juin 2020
Si par les mots
j’avais la capacité de te faire danser,
je ne m’arrêterais plus d’écrire ni de parler,
car la danse s’érige avant le verbe
qui ne traduit que l’infime
de la brutalité du ressenti.
Gabriella Koutchoumova

Rue de la Banque
​
75/105 13 juin 2020
Créer des fenêtres de respiration,
des cafés où jouer aux échecs,
où poser ses lectures,
où faire la sieste en ville !
Des lieux de recherches,
des espaces verts encore !
Des esplanades de danse et de chant choral.
Ouvre tes murs
crée des ponts et des places,
des allées de promeneurs à vitesse ralentie.
Applique-toi à nous faire sentir nos corps respirés
d’un air aux courants porteurs !
Gabriella Koutchoumova

Rue des Halles
​
74/105 12 juin 2020
Ouvrir l’espace au lieu de le refermer sur ses habitants.
L’isolement dans la ville
contenu dans ses murs
crée une ambiance ouatée
dont les particules fines de l’air
ne nous permettent plus de respirer à pleins poumons.
Bruxelles tu pues !
Je suffoque
je tousse
et tout le monde s’en tape, du Parlement jusqu'à la Chambre !
Gabriella Koutchoumova

73/105 11 juin 2020
Se souvenir qu’il y a peu
nos enfants étaient dans l’obligation d’aller à l’école
et souvent de se retenir toute la journée.
Les toilettes ne leur offraient ni papiers-cul ni savon.
Peut-être maintenant pourront-ils regagner l’école,
ce lieu d’apprentissage de la vie
avec un minimum d’hygiène et de respect de leurs besoins
fondamentaux ?
Gabriella Koutchoumova

Rue du Musée
72/105 10 juin 2020
Créer des réseaux d’environnements, des lieux à géométries variables.
Accueillir des humains en recherche,
leur offrir le temps du tâtonnement, du flottement, du rêve,
permettra de donner une vision nouvelle du monde déboussolé
dans lequel nous avons tous échoué.
Gabriella Koutchoumova

Avenue du Port
71/105 9 juin 2020
Expérimenter
S’arrêter
Tâtonner
Goûter au flottement
Laisser faire
Dégager la pression du passé
Broder
Défaire
Recommencer
Tous les jours
Se laisser respirer
Gabriella Koutchoumova

Rue de l'Orient
70/105 8 juin 2020
Associer et coopérer
comme les sondes,
explorer de nouveaux chemins plus lents...
un environnement inconnu.
Se rapprocher à pas lents du cœur de sa pratique,
déclinant des écritures parallèles,
les arrachant à leurs habitudes,
aux façons galvaudées de nous exprimer.
Extraire une nouvelle essence
un goût inédit
une façon de s’habiter
autrement.
Gabriella Koutchoumova

Quai du Hainaut
69/105 7 juin 2020
Parfois malgré nous,
nous devenons le phare de quelqu'un.
Par un simple silence, une présence juste.
​
En pleine nuit les lumières s’éteignent
mais en ton sein,
tu gardes secrètement
vive, ta flamme,
pour trouver ton chemin
et partir avant l’aube.
Gabriella Koutchoumova

Place d'Espagne
68/105 6 juin 2020
Par ses descentes en contretemps il nous surprend.
Impression de trébucher en révoltades percussives !
Il crée contradictions et paradoxes.
Tiraillé au même instant entre l’envie de monter et de descendre.
Comme pensif, il laisse les résonances du piano suspendues.
Inlassablement son travail retisse les liens à sa terre natale.
Toute sa vie il compose, se tournant vers elle,
séparé, mais comme un couturier du cœur,
Bela Bartok, pionnier de l’ethnomusicologie,
voue son travail de compositeur à sa patrie
et la partage avec nous à travers toute son œuvre.
Magistrale !
Gabriella Koutchoumova

Rue du Bon Secours
67/105 5 juin 2020
S’accaparer les murs en les perçant
afin de faire entrer la lumière
dans ce qui avait été conçu comme un espace clos
et qui se vit comme un enfermement.
La ville, lieu de séparations et d’isolements.
Lien émotif étroit entre moi et elle !
Son atmosphère repose sur ce qui se vit et se ressent,
sur l’expérience passée et sur l’environnement présent.
Quelle serait la manière de la pratiquer,
de la rêver et de l’habiter ?
Ou suis-je contrainte de la subir ?
Gabriella Koutchoumova

Parvis de Saint-Gilles
66/105 4 juin 2020
Ce serait si facile d’avoir pitié de toi
pour me faire du bien.
Mais si tu regardes bien passant,
il s’agit de gravité,
d’une dynamique nous mettant en contact avec la terre.
Et la propension du corps à s’ériger, trace dans l’espace
un parcours éphémère.
De t’abandonner comme tu le fais,
tu reçois toute mon admiration.
De te déposer à cet endroit précis,
sans résistance, dans un lâcher prise magistral,
et d’apprendre de toi à oser à notre tour
regarder le monde à partir d’un improbable point de vue !
Gabriella Koutchoumova

Avenue de la Couronne - Rue Gray
65/105 3 juin 2020
Rien que par la vue,
comme quand on imagine un citron,
la salive envahit la bouche directement.
Rien qu’à l’idée de passer sur ce toit gris, pieds nus...
Ne sens-tu pas quelque chose en toi s’activer ?
Tes pieds s’agripper au sol comme des ventouses ?
Le tonus abdominal se contracter ?
Tes mains devenir moites ?
Différentes perceptions s’accordent pour créer
un équilibre entre soi et l’environnement.
Gabriella Koutchoumova

Gare de Schaerbeek
64/105 2 juin 2020
Le jour du grand départ, oui il y en a eu quelques-uns.
Le bolide traverse Bruxelles jusqu’à la gare de Schaerbeek
Le voyage sera long.
La Fiat 600 prend place sur le train Bruxelles - Milan.
Les bonbons dans les vide-poches du bolide.
Le train couchette, avec des draps et des couvertures.
L’excitation totale du voyage vers l’Italie, la terre de mes ancêtres.
L’arrivée à Milan
La descente de la Fiat 600 où elle se sent chez elle.
Elle s’élance sur l’autoroute Milan - Rome comme si
elle connaissait le chemin par cœur.
La via Aurelia nous signifie l’arrivée imminente du bolide à destination, avant de redescendre vers Campo dei Fiori
Où sifflent les Romains, à chaque pas que tu poses sur le sol.
Mais ils ont la forme et la façon.
Il y a l’admiration et de la légèreté.
Juste ce qu’il faut de séduction, de tact
pour laisser émaner l'espièglerie dans l'élégance
que cela procure.
​
Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Avenue Roger Vandendriessche
63/105 1 juin 2020
Alba celle qui ne vit jamais le jour
Qui fit un demi-tour, un détourné
Celle dont le cœur s’arrêta en moi
Et une partie de moi s’en fût avec elle.
Gabriella Koutchoumova
Lien vers les photos et les textes
Copyright des textes Gabriella Koutchoumova
Copyright des photos Jean-Luc Tanghe