Jean-Luc Tanghe Gabriella Koutchoumova
105 JOURS
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Relecture : Anne Jaspard
Chaque jour, pendant 105 JOURS, nous publions une photographie de Bruxelles réalisée par Jean-Luc Tanghe et un texte écrit par Gabriella Koutchoumova

Rue Sainte Catherine
31/105 30 avril 2020
N’est-ce pas le moment de faire éclore de nouvelles formes pour aimer ?
La fidélité du cadre rassure certains et en ennuie d’autres.
N’est-ce pas une pratique d’absolu avant tout ?
Se donner les permissions de plonger ou cheminer, de tout recommencer, d’apprendre à se laisser apprivoiser par quelqu’un.e qui nous ouvrira à une autre partie de soi justement ?
​
Gabriella Koutchoumova

30/105 29 avril 2020
Deux saisons se chevauchent, se côtoient.
Deux âges.
Dans le même espace, l’une silencieuse au vent, attendrie
tandis que l’autre sonore, craquante se chiffonne.
As-tu perçu la sonorité des feuilles séchées encore suspendues
quand s’engouffre le vent ?
​
Gabriella Koutchoumova

29/105 28 avril 2020
Si je compte chaque barreau
Chaque ligne
Chaque verticale
Chaque tronc
Chaque balcon
Chaque balustrade
Chaque diagonale
Si je suis de mon doigt le béton étalé entre chaque brique
Je pourrais peut-être extraire mon regard de telles horreurs.
J’ai la nausée
Je me permets un détourné …
​
Gabriella Koutchoumova

Quai de la Voirie
28/105 27 avril 2020
Après tant de pas tu es arrivé là transi de froid
sur ces cartons de misère jetés des camions déchargeant.
Pourquoi à cet endroit as-tu posé ton cœur ?
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Gabriella Koutchoumova

Bus 63
27/105 26 avril 2020
4h46 ce matin
L’obsession de son geste
taraude l’imagination.
Je rumine, interprète, scrute
me lève, me rassied… encore une tasse de thé.
La texture apparait enfin.
Le poids, presque l’odeur, mais
le vernis du dimanche en double couche
masque l’effort.
En deçà ou au delà, la sensibilité se décline,
la résistance cèdera-t-elle le pas à la grâce ?
​
Gabriella Koutchoumova

Rue d'Aremberg
26/105 25 avril 2020
Nous pourrions laver la vitre ensemble
En créer une danse lente
Un slow de nos deux mains en miroir
Qui étire le temps, qui étire nos flancs pour pouvoir se suivre
Me synchroniser à ton rythme qui devient le nôtre
C’est déjà être en ta présence nue
Le son sourd de ta voix envahit de larmes mes yeux
Et toi sourde, tu regardes mes lèvres te dire
« j’avais apporté deux sandwichs, mais je n’ai plus faim »
A qui puis-je les donner sans les tuer ?
Gabriella Koutchoumova

Rue de la Grande Ile
25/105 24 avril 2020
Une mine qui casse sur le papier
Arrête l’élan du geste
Énerve, irrite, agace
Alors que juste derrière survient… écoute !
Le moment jouissif de par le son si distinctif du taille-crayon
De par la mine qui réapparaît affutée
Et qui donne naissance au trait d’une absolue précision.
Gabriella Koutchoumova

Site de Tour et Taxis
Bruxelles tu tournes, tu brasses l’impermanence d’habitants enracinés ou en transit.
Tu bouges, tu glisses, tu t’abandonnes, tu retournes ta veste,
tu oublies souvent tes promesses, tu fais des compromis et
tes lentes métamorphoses créent une cacophonies de désaccords. Pourtant, l’état du monde nous presse de ralentir, de se déposséder de ce que nous avons pris à la nature. S’occuper de l’air, rétablir le cours de l’eau et faire péter le béton.
Créer des pistes cyclables à énergie renouvelable, pour chauffer nos repas et nos maisons. Accueille, libère, fais en une ville de possibles de toutes les manières.
Réorganise toi Bruxelles!
Gabriella Koutchoumova

Rue Montagne de l'Oratoire
23/105 22 avril 2020
Le reflet des fenêtres sur la porte vitrée, cadenassée.
De vides intérieurs immenses,
d’espaces impraticables aux humains en détresse
Bruxelles tu regorges.
​
Ouvre tes portes !
Fais de ces espaces vides de nouveaux lieux de vie,
d’art et de recherche.
Des lieux laboratoires où ceux et celles d’ailleurs
nous apprennent, nous confrontent, nous rendent solidaires
et non piteusement jaloux, avares et insensés.
Gabriella Koutchoumova

Place du Congrès
22/105 21 avril 2020
Quelle torture d’ouvrir ses rideaux face à toi Léo
Et de se sentir transi par un vertige paradoxal
Celle de ta chute suivie par mes yeux
Ou celle de ton équilibre indéfini et du coup ennuyeux.
Je calcule l’improbable saut jusqu’à la fenêtre
Mais retenu par le plomb de ta cape
Je respire, puis je souffle mais…
J’observe nonobstant, le doute du grand saut vers d’inconnues contrées…
Le compromis te retient et tu lègueras au suivant tes rêves d’explorations qu’il chevauchera en une honteuse et inacceptable exploitation humaine.
Gabriella Koutchoumova

Avenue de Cortenbergh
21/105 20 avril 2020
Quand le point se transforme en cercle
Je deviens hamster.
Le vélo mental s’empare de moi et me désempare
Intarissablement je suis emmenée sur ce chemin sans fin.
Cette droite se mord la queue
Et le film reprend constamment du milieu ou de la fin.
Que dois-je faire pour arrêter cette intempérance, ce vice de boucle
Cette luxure de cercle, cet infini vers lequel je m’élance, je m’inspire
Et qui mal placé m’asphyxie.
Gabriella Koutchoumova

Avenue de l'Assomption
20/105 19 avril 2020
Sur mon dos je t’emmène
Tu pèses de tout ton poids sur ma colonne vertébrale.
Et je ressens l'unique fardeau de ma culpabilité
De t’avoir regardé de derrière ma fenêtre
Te battre à toutes forces
Désarticulées par l’angoisse et la peur
Que tes balles n’en touchent qu’un seul.
Je ne peux qu’accourir
Et te porter trop tard
Sur mes épaules frêles.
Un chagrin immense
De n’être sorti à temps
Pour te ramener au chaud.
Peur, peur tu me tiens
Debout sur ce char
Avec toi sur mes vertèbres
Je ferme les yeux pour ne recueillir
Aucune reconnaissance dans ma posture de héros
Car je sais que je n'en ai aucune légitimité.
Gabriella Koutchoumova

Quai de Willebroeck
19/105 18 avril 2020
Déployer ce tape mauve ferait peut-être le périmètre d’un espace,
d’une peau, d’un corps physique,
d’un corps communautaire.
Transgresser les périmètres du clan, de la corporalité familiale,
du couple étriqué, de la solitude tant désirée, de l’isolement forcé.
Transgresser les limites de cadres imposées par l’habitude.
​
Se donner un défi,
tomber, recommencer
tomber, se relever
tomber et en rire comme une enfant.
Se donner la permission d’explorer,
de voyager du dessin à la peinture, à la danse, à l’écriture,
à la permaculture.
Se poser en artisan et laisser émerger de la recherche,
du tâtonnement et de l’à-peu-près, une nouvelle forme de Je
où il y a une émergence du Nous.
Gabriella Koutchoumova

Rue de l'Arbre unique
18/105 17 avril 2020
Une stèle de béton
Rue de l’Arbre unique
Que veux-tu dire ?
Que dois-je faire ?
C’est une arnaque
Il en convient !
Demain j’appelle l’auteur de cette photo qui piège
La plume en suspens
Et tache de tâcher mon humble devoir en une grosse farce !
Bruxelles est-ce toujours toi ?
Mais comment oses-tu, canaille, devenir si sauvage ?
N’es-tu pas une métropole bétonnée ?
Gabriella Koutchoumova

Cathédrale de Saint-Michel et Gudule
17/105 16 avril 2020
Que de mains délicates, articulées et lumineusement féminines.
En espérant qu’elles soient lavées pour transformer
le petit pistolet du dimanche en roue d’épeautre dont la croûte craque à chaque partage !
Allez Fernande, on attend toutes le tour de magie qui remplit
nos panses d’une joie intense.
Qu’attends-tu bon sang pour rompre le pain et nous libérer du silence en suspens ?
Gabriella Koutchoumova

Bus 29
16/105 15 avril 2020
La lordose de ton dos qu’épouse le tissu
Qu’illumine les rayons matinaux
Attrape mon oeil endormi
Dont aucune armée de mangas ne pourrait jamais me
Détourner de la sensualité éperdue, naturelle de ton dos.
Gabriella Koutchoumova

Place Sainctelette
15/105 14 avril 2020
La tranquillité sonore des rues en ce moment nous relaxe et nous trompe
Le confinement agite
Les colères grondent derrière les portes
La violence explose dans l’intimité des maisons
Les femmes payent.
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Et sur la porte ce mot « SUERTE » qui veut dire chance.
C’est sans doute le moment d'agir, car la puissance de notre désir est inébranlable pour que les femmes s’en sortent !
Confinées et en plus victime de violences inexcusables,
odieuses et destructrices.
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Je leur souhaite la force de rebondir, de se tailler vers un ailleurs digne.
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Parler à la voisine, à l'amie, à la cousine, à la femme flic, à la femme du magasin, à la couturière, peu importe, parler à d’autres femmes.
Se délester de porter la honte d’être celle à qui cela arrive,
Se lever et sortir !
Gabriella Koutchoumova

Rue des Eperonniers
14/105 13 avril 2020
Elle et moi enfermées
Mille choses à partager
Temps à rattraper, forcément, forcément
Depuis tes 3 ans tu arrives et tu repars
Je me réjouis, je me prépare, je te lâche
La vie est au rythme de tes arrivées, de tes départs
Jamais le rouge ne fadit quand tu es loin
C’est la joie que tu existes qui domine
L’amour a cette forme instable d’aller retour, d’aller retour
Et c’est noir sur rouge, comme une évidence éternelle
Que de grandeur rythmée, que de douceur infinie
Que de rires et de tendres caresses
Tu traces en moi une force et un vulnérable lien d’amour !
Gabriella Koutchoumova

Parc de Bruxelles
13/105 12 avril 2020
Un silence de marbre,
serait-il plus vivant qu’un silence de plomb ?
Je reconnais ta nuque, son odeur, sa chaleur…
Ce pont entre les désirs d’un corps, affamé et inexistant,
et la dignité d’un esprit noble, éperdument incomplet...
Ton visage en médaillon apparaît de temps à autre sur la toile,
mon ventre se contracte par l’incomplétude de cette image
qui n’est pas toi mais la ressemblance d’un instant, une infime partie de ce que tu es pour moi.
Gabriella Koutchoumova

Bus 63
12/105 11 avril 2020
La peur se place et se déplace.
L’humidité peut nous glacer d’un coup,
quand elle se dépose sur un pâle du métro.
Elle peut nous réjouir quand elle jaillit dans notre intimité comme promesse de lumière dans l’ombre, de chaleur dans la séparation forcée, de renouveau malgré l’hécatombe de départs…
L’humidité fait partie de nos vies pour le meilleur et pour l’ailleurs…
Gabriella Koutchoumova

Place de l'Yser
11/105 10 avril 2020
Le 1 me rappelle que je ne suis pas seul
si je vois le 1, nous sommes déjà 2.
Le 1 et moi.
Un face à face ténébreux sur un mur blanc envahi
par les traces de vie en forme de buisson.
Le buisson des êtres dont nous faisons partie,
celui qui nous explose à la gueule car il nous place
ni plus haut ni plus bas que la baleine, le moustique,
le chimpanzé notre cousin, notre cousine la plus proche.
Nous ne formons que le 1, ensemble.
Nous sommes le Un, le buisson du vivant !
Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Square Frère-Orban
10/105 09 avril 2020
Quand au travers de nos projections
se distingue une éclaircie,
l'ombre se fait plus intense.
Et dans l’alchimie des 2 se dessine les contours d’une pensée,
le mouvement d’une sensation.
L’odeur des feuilles mortes collantes sous les semelles me rappelle
les promenades tant espérées dans ce futur antérieur…
C’est à présent sur mon mur que je les imagine.
Il n’y a évidemment personne d’autre que moi
et toi déjà flou que mon mental tente de rattraper
sur la toile en clair obscur.
Gabriella Koutchoumova

Chaussée de Louvain
9/105 08 avril 2020
Non à la loi anti squat !
Dans tous les sens du terme
je baisse ma garde
et me rapproche du sol.
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Un sol pour toutes et tous.
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Nous, les animaux de cette terre
accueillerons l’autre en voisine, en copain,
en paire sur le sol de cette terre.
​
N’importe où, le vide je te le laisse
l'apprivoiser sans jalousie, sans mépris, sans
revendication obscène de possession.
Gabriella Koutchoumova

Place d'Espagne
8/105 07 avril 2020
Quand le poids du coeur devient point de départ
pour tisser et tirer les lignes d'une quête,
toutes traversées de paradoxes, je te suis, ébahi par l'odeur du Graal dont tu me vantes tous les atouts.
Toi, catapulté par ton grade de chevalier,
tu décides de me laisser là.
Et las je suis, du poids de mon corps de te suivre dans tes tribulations insensées... mais nous savons tous deux
Que toi sans moi tu meurs
Que toi et moi formons un JE
Et que je t’emmerde et t’aime à la fois.
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Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Chaussée de Jette
7/105 06 avril 2020
Une couleur noire anthracite et le rose de tes lèvres
qui me susurre « love me tender ».
Des zones sombres apparaissent sur les lettres
dont le contact entre elles trahit l’amour.
Des lettres s’accrochent les unes aux autres en co-dépendance comme des fils séchant au vent.
Elles s’enfuient et nous embrouillent petit à petit, la couleur altérant
le mot, déviant le sens, cheminant vers une autre expérience.
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Gabriella Koutchoumova

Impasse de le Fidélité
6/105 05 avril 2020
Communiquer au travers de nos portables,
est-ce de vie dont on parle ?
Ne plus pouvoir te serrer dans mes bras.
Enfermer, piéger, étouffer, en mourir petit à petit,
j'en pisse de trouille.
Ne se crée plus que des transferts d'illusions, des représentations fantasmagoriques qui ne décrivent plus, ni notre état, ni nos ressentis.
Il me manque ton odeur, ton toucher, ton corps dans l’espace partagé avec le mien.
Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Rue de la Banque
5/105 04 avril 2020
Dormir dehors sur le pavé ou sur la terre pour écouter ses nécessités et ses cycles.
Ecriture blanche sur mur beige comme un totem protecteur, comme une demande d’espace ou de distance de sécurité.
La nature d’un vert intense reprend ses droits dans les interstices,
dès qu'elle peut.
La mousse verte imbibe le pavé comme de droit et réinvestit l’espace qu’on lui a pris.​
Des grilles qui protègent les humains des espaces privés des humains des terrains bétonnés.
Si de terrains vagues il s’agissait encore… ce serait plus doux, plus confortable, plus naturel.
Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Palais de Justice
4/105 03 avril 2020
L’ascension des âmes,
les bouchons vers la lumière.
Le patriarcat dégringole, se casse la gueule en essayant de garder une sorte de dignité ridicule.
Passer à autre chose.
Le chemin vers les ténèbres aux résistants du mieux, aux récalcitrants du juste, aux avides de hautes montagnes, aux avides du pouvoir des pistes noires aux listes noires.
Tenter de retrouver en soi le bonheur d’une piste lente.
L’adrénaline faisant défaut, nous nous échappons vers d’autres cîmes pour finalement dégringoler de toujours plus haut, toujours plus vite et jouir de pouvoir se rattraper juste à temps...
Et à nos pieds, un semblant-de-pouvoir en mirage.
Gabriella Koutchoumova

Gare de Schaerbeek - Site Infrabel
3/105 02 avril 2020
Des traits rouges effilés, parachutés sur un espace blanc.
De prime abord une surface
et à force d’y plonger
on perçoit les trajectoires filantes
comme l’impact d’une vie…
comme le chemin de nos idées abandonnées, détachées, décousues, involontaires.
Aléatoire comme la pluie, rythmée et suspendue par le contretemps, le contre-courant, le flux anarchique...
Interrogations et exclamations se disputent avec passion, leur passivité respective.
Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Parc des Sources
2/105 01 avril 2020
Irrégulière et aléatoire en fonction du passage des nuages,
la pensée se dépêche sur nos briques,
interpellante, énergique.
Elle explose
par ses couleurs dans l’ombre.
Son sens,
souvent énigmatique
par ses trajets calligraphiés,
percute irrémédiablement.
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Gabriella Koutchoumova
Gabriella Koutchoumova

Forêt de Soigne
1/105 31 mars 2020
Une forêt d’arbres en hiver
où en dessous de chacun
un de nos vieux, une de nos vieilles
se décompose en humus fertile.
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Puis grimpe la sève déployant un feuillage vert électrique
permettant une forme de liens télépathiques au gré du vent.
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Le frémissement des feuilles trahit leur regard timidement agacé de la transmission inconsidérée de notre idiotie.
En réseaux croisés, elles et ils suspendent leur souffle
en état d’observation,
déclenchant finalement des tempêtes,
en réaction à nos consciences souvent aveuglément étriquées.
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Gabriella Koutchoumova
Copyright des textes Gabriella Koutchoumova
Copyright des photos Jean-Luc Tanghe